14 février 2019

Y a pas de souci !

Mais qui c'est çui-là ?
Vous avez l'impression de le connaître ?
Normal, c'est Boris Vian dans Notre-Dame de Paris,
de Jean Delannoy (1956)


"Y a pas d'souci", c'est ce qui remplace "Y a pas de problème". Avant on avait des problèmes, avec sa tête… aujourd'hui on a des états d'âme. Ça remplace même "Je vous en prie, cher monsieur". Blanche Gardin en parle avec son humour saignant quelque part.

Mais revenons à nos fondamentaux, chers émaux valides.
Ces mois-ci, j'ai récolté dans ma nasse quelques belles variétés roses et charnues des actuelles tendances de notre superbe langue de veau. 
Si vous ne voulez point, comme mézigues, passer pour un has been,
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Le lexique

En promo,
Du coup et En fait cassent la baraque (grâce aux moutards, principalement). 
On pète également beaucoup de plombs ou de câbles, à tout propos. On pète d'ailleurs tout court et ça fait beaucoup rire, même après l'âge de 8 ans et demi.
Expérience et dommageable (à la place de "dommage") tiennent bien le coup. Chez le journaliste, tarmac (pour "pistes") est devenu incontournable.
Inclusif et disruptif sont de vrais tubes (hits). 
Iconique, utilisé pour emblématique, suinte encore la marée atlantique et réjouit les jeunes gens modernes…
Au rayon des barbarismes très en vogue : déceptif trace son chemin, suivi par l'incommensurable malaisant
Candidater (pour "postuler") fait maintenant partie du paysage commun.
Quant à "l'Outre-mer", il est devenu (depuis un bout de temps, pardon !) les Outre-mer. Ça en fait plus pour le même prix, comme ça.
L'alignement des planètes et en découdre sont en grande forme. 
Compliqué (complicated) remplace ou euphémise un tas de qualificatifs, comme l'avait fait "impacter" il y a quelques ans.

"Pour l'anecdote" est fréquemment devenu (allez savoir pourquoi) pour la petite anecdote. Et de manière générale, le renforcement redondant (ça dure encore, retour en arrière) semble s'installer durablement. Pléonasme n'est donc pas encore sorti des rangs…

La prononciation

Gilets jeunes auprès du poil…
Je ne suis pas d'une région où l'on distingue vraiment le son "ain" de pain, lin, fretin, du son "un" de lundi, brun et parfum (sauf "brun", peut-être) ! 
Mais allez savoir pourquoi, mes neurones font la gueule quand j'entends prononcer "patte" à pain ou "poil" à frire. Et les "o", par exemple, celui de sot et celui d'Europe tendent à se confondre, car les médias audiovisuels (comme on disait autrefois) sont friands d'animateurs d'origine méridionale. 
Et l'on entend fréquemment "Peul Emploi", "anticycleunes" ou 60 % des "embeuches"… Castaner, tout frais arrivé de Forcalquier, voit des "gilets jeunes" partout…

La liaison décalée
Assez tendance en nos extraplates lanternes… "Le verdict aurait été t'encore tout autre", "des offres qui ont vu t'affluer…" (FR 2), "deux millions de touites ont été t'écrits", "Cela met fin t'à la polémique…" (médias divers)

Plus de liaison du tout…
Dire qu'on entend encore de nos jours de naïfs étrangers qui essaient de prononcer les liaisons ! Ptr !
Sottise, Marquise : lier n'est plus de mise… De Gaulle prononçait "qu'un sang gu'impur abreuve nos sillons". Au cours de mes jeunes années (courent-dans-la-montagne), on disait "mort-t'au-rat", "quand t'on n'a que l'amour" (imaginez : quan hon !), "de temps z'en temps". Et v'là que je commence à entendre, un peu effaré, "pas hà pas"… Ah qu'il est dur de vieillir…

Le H aspiré, 
…c'est comme l'imparfait du subjonctif ou même le passé simple, ma pauv'dame, on n'en cause même plus : "Un nombre en n'hausse, Journée nationale de l'hamburger, il est t'hors de danger (médias divers), les enfants victimes d'harcèlement (M6), la ville s'hérisse (FR5, chaîne culturelle), nous étions des z'harceleurs". Etc. 

Petit couizz pour les amis lettrés à l'ancienne :
Je vous propose un petit egzercice de prononciation pour tous (lors d'un enregistrement de voix, on a essayé de me faire prononcer magnat avec le gn de agneau…) Comment diriez-vous :
Magnat, agenda, ananas, pugnace, mœurs, exsangue, abasourdir ?
(Je ne vous suggère pas gageure car vous n'êtes pas non plus nés de la dernière pluie).
Le plus habile d'entre vous gagnera un éplucheur de framboises.

La syntasque
Sachez qu'on a perdu l'usage du EN et du DONT (et ses cosaques) ! 
Qu'est-ce que vous me disez, gentils locuteurs lecteurs de ma numérique gazette ?

"Il faut savoir de quoi il en retourne" (un journaliste). Quoi, des claques ?
"C'est d'eux dont j'avais envie de parler" (Nicolas Mathieu, prix Goncourt 2018… à l'oral, heureusement, et sous le coup de l'émotion). Il faut reconnaître que Verlaine lui-même ("Prends l'éloquence et tords-lui son cou", in Art poétique, Jadis et Naguère, vers 1874)…
Gros succès également de la formulation : "Elle s'est faite renverser" ou "Elle s'est faite connaître"…
Celles et ceux, raccoleur de bien pensance, gagne le gros lot de la lèche-culterie, il faut s'y faire ! (j'ai même un philosophe médiatique qui pense comme moi, c'est dire !)
Ne vous cassez plus la nénette avec de longues phrases alambiquées style Sauveur jupitérien de l'Olympe, dites : "Entre la poire et entre le fromage" : "Il y a une cohérence entre la marque et entre le produit" (La 5)…
Entre ici, J'en moule un ! Avec ton terrible cortège de barbarismes joyeux et d'approximations up to date… 


Tonton c'est loin, l'Amérique ?


Au rayon du frangliche ordinaire

Quand j'étais une jeune fille rangée, je faisais des "dictées" et j'apprenais le système "métrique". T'imagines le malaise : le XIXe siècle, les machines à vapeur, le lait cru à la tireuse ? 
Dieu merci, l'autre jour, j'ai reçu un sms avec Save-the-date pour acheter un 18 pouces à l'occasion du Black friday !

Award semble avoir détrôné définitivement "prix" et live, "en direct" ou "en concert".
Teaser remplace "accroche" ou "extrait", et spoiler (francisé en infinitif) "dévoiler, révéler". Stopmotion, "animation", timelapse, "accéléré", shooting, "prise de vue" (pas nouveau celui-là). 
Je vous fais grâce des jargons du management, de la pub, de l'informatique et du reste de l'audiovisuel, que vous connaissez aussi bien que pas-moi. Vous n'avez qu'à checker vous-même. Versus, ce mot latin qui remplace "contre" nous revient par l'Atlantique comme jadis par la Manche flirt pour fleurette.

Décidément, si les Ricains n'étaient pas là, comme disait Victorien Sardou, — non Fernand, — non Michel — en fait Pierre Delanoë — idée confirmée récemment par Trump Donald –,… on causerait allemand. Heureusement, on cause américain. Et on met des chewing-gums partout, c'est malin. 

Une expression rigolote que j'aime bien (j'ai aussi mes faiblesses) :
Attention, ça va piquer (utilisé aussi bien pour "tu vas te viander grave")





Sinon, quoi de neuf, mon Justin ?

Les nouvelles valeurs à considérer

Côté pile :
J'apprends qu'à Montréal (Canada), l'humoriste Zach Poitras a été interdit de scène pour cause d'appropriation de signes appartenant aux Noirs. Pour certains, les dreadlocks sont en effet un modèle déposé ! Mais qui a déposé la crétinerie ?

Côté face :
Un poilu transgenre (même pas opéré), Rachel McKinnon, a gagné une épreuve de cyclisme… féminin, en octobre dernier à Los Angelès…

Tu ne jetteras rien, mon fils

J'ai pas de pot, moi. Issu de parents d'origine modeste qui avaient connu les privations de la guerre, j'ai passé une grande partie de ma vie à ne pas gâcher ("finis ton assiette !"), ne pas jeter les choses inconsidérément ("ça peut toujours servir") et éviter si possible une consommation d'eau et d'énergie excessives ("éteins quand tu sors").
Dans les fêtes, je privilégiais les verres en verre et les nappes en tissu ; il m'est même arrivé de porter le rab de bouffe aux Restaus du cœur.

Au point que je finissais par en avoir honte, comme d'une névrose. Même si je voyais bien que gaspiller était aussi un signe de reconnaissance sociale ("je suis pas mesquin")…

Du coup, j'avais fini par me soigner et j'étais fier, encore récemment, d'oser jeter une demi-part de purée de panais restée dans la casserole. Bon : le panais c'est facile, direz-vous. Alors mettons : du chou-fleur, de la courge, du persil tubéreux, des crosnes, des tomates belges.
Je te jure, pour moi c'était une libération que de me séparer de mes vieux Téléramas, Marianne ou Libé… d'un câble d'antenne de 15 m, d'une vieille prise péritel, de mon premier portable sony-ericson, de mes vieilles cassettes (pas toutes, quand même) !!! Mais…

On me dit aujourd'hui que ces maux n'ont plus cours
Qu'il vaut mieux rien jeter et recycler toujours
Que l'océan rempli de plastique en a marre
Et qu'il vaut mieux toujours réparer sa guitare (1)

Quand je vous dis que je ne suis plus en phase avec l'époque.

Ce qui ne m'empêche pas de réfléchir :
Il y a dans le monde 37 millions de vols d'avions par an (plus de 100 000 par jour) ; 
Combien de milliers de camions diesel traversent l'Europe ?
Les insecticides auraient détruit 80 % des insectes en 30 ans (source : une étude allemande de la revue Plos One) ;
Heureusement, on a trouvé la solution : les pailles et les cotons-tiges. (Ce truc doit encore venir de nos amis étazuniens, qui vivent littéralement avec une paille dans le bec et un gobelet en carton vissé au bout) ! 
Rien sur les couches jetables, les kleenex et la bouffe toute prête en blister !
Je rigole. Ah on me dit que le trafic aérien ne serait responsable que de… 2 % de la pollution atmosphérique. D'où vient ce chiffre ? Des compagnies aériennes ?
Je rigole derechef.

L'écologie est incompatible avec le capitalisme mondialisé et la surconsommation.  
Et incompatible avec la démographie galopante : moins on est de fous…
Mais les solutions ne sont pas aussi simplistes, hélas, que certains le croient :
Une voiture électrique a une batterie de 700 kg. Pour la fabriquer, on met en place des procédures extrêmement polluantes. Et ça va marcher avec l'énergie nucléaire. C'est compliqué la Vie claire.
Le labour, soutenu par beaucoup d'agriculteurs bio pour éviter les pesticides, accélèrerait l'appauvrissement des terres. Et multiplierait par 10 la combustion de carburant polluant… C'est dur, la culture.




YUKA : l'appli (un peu) nulle pour les nuls.
Les jeunes gens sympathiques qui l'ont lancée le reconnaissent eux-mêmes : ils n'y connaissent pas grand chose et se contentent de collecter une liste d'infos diverses et de la traiter à leur sauce (bio), avec une obsession sur les additifs et les calories, ce qui ne suffit pas toujours et biaise les recommandations. La confiture, par exemple, est toujours… trop sucrée. Le sel est trop salé et mes camemberts au lait cru Label rouge et/ou Médaille d'or au Concours agricole refusés. Alternative proposée, un fromage frais à zéro pour cent ! (rectifié depuis !). En revanche, des cœurs d'artichauts sans aucune indication d'origine passent le test allégrement. 
Dernière heure : je viens de scanner deux boîtes de sucre bio et hum, pan sur le bec, Yuka avoue "Nous ne savons pas juger ce type de produit". Peut-être affinent-ils l'outil, ce qui serait une bonne nouvelle ? A moins que… Voyons, je viens de tester des produits dans mes placards, les voilà tous excellents… Bizarre.


Au fait, je vous ai pas dit ?

Cette rubrique est pleine de classe !

(merci à Joël Martin, Bible du contrepet, Bouquins, 2005)


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(1) Pour les jeunes générations ou les Martiens, ici je m'inspire d'une chanson de Jean Ferrat. Sauras-tu trouver laquelle ?