09 mai 2018

Ode au Général Macaron et autres broutilles

Expression piquée à Pascal Pavageau, qui l'a lui-même piquée à Pierre Desproges


Coup de vieux

Voilà, c'est dit, je ne fais plus partie de l'époque ; la langue de Stendhal, nous dit un enseignant dans le poste, n'est plus entendue par les étudiants.
Et moi je n'entends plus celle de mes contemporains. Ça me troue.
Désagréable impression de ne plus faire partie de la course du monde ! Même Mai-68 est renié par ses célibataires même (1). Quand j'évoque une figure ou un événement — avec la virevoltante vivacité d'esprit qui me caractérise — je me sens obligé de mettre une note d'explication en bas de page ou en fin de discours, de peur de ne pas être compris. Vous avez vu ? J'ai déjà commencé dans cette introduction. Quand je pense que j'écris comme ça depuis toujours, comment s'étonner du décalage (gap) entre générations ?
Me voilà donc assigné à commenter les choses depuis un banc public (2) installé sur Sirius (3), ou depuis un drône, tiens : c'est plus neuf.




C'est un bit, c'est un gap, c'est une péninsule

Big Boi, Kendrick Lamar, Alice Merton, Usher, Haddaway, Coolio… ça te dit quelque chose, à toi, cher faux lover ?
Sur Télé Monte-Carlo (4), Yann Barthès demande à ses invités leurs chansons préférées (5). Je n'en connais pas deux sur 10 ! et neuf sur 10 viennent de la culture occupante (6) ! De plus, je ne suis pas fana de foot, je fatigue devant les séries, je ne marche pas dans les bois avec des bâtons de ski, je ne tombe pas en pâmoison devant les sushis et la vogue vegan me fait flipper. Le ringue total.
Voilà pourquoi votre fille est muette (7), votre grand-père largué, votre blogueur préféré, coit. 
J'ai navigué sur la toile pour découvrir et déguster le charme rugueux des rappeurs (et autres) cités plus haut. Et comme la musique m'en touchait une sans faire bouger l'autre (8), j'ai regardé les paroles : "Oh bébé je vais te faire crier continue de boire Je suis un gangster Un n* de la rue je vais te n* ta race, poum-tchac-tchac-poum c'est-quoi l'amour, yeah" (j'ai mis des bips pour faire… approprié). Entre François Villon et Bernard Menez, donc…

Si je suis tout à fait honnête, j'ai quand même découvert un rappeur, un artiste au-dessus du lot, qui charrie les mêmes thématiques – la mort en plus – mais avec une inventivité vraiment convaincante et percutante dans les textes et la musique. Comme il paraît que c'est le meilleur, vous qui êtes à l'heure, vous l'aurez reconnu, il est passé à Bercy, enfin à l'Hôtel Machin. 





Mai-68

Le nombre de conneries qu'on a entendues sur mai-68 ! Depuis que Jean-Pierre Le Goff aurait considéré que mai 68 portait les germes du libéralisme et de l'individualisme, idée reprise sans réfléchir par l'ineffable Lenglet de France 2, et après le grand sociologue Michel Houellebecq, traumatisé par ses parents hippies, ce qui n'a rien à voir, cette petite musique s'est encore baladée en nos magiques boîtes à sons et images… Quant à Jean-Michel Apathie, qui ne manque pas une occase de faire son kéké, il considère même que toute cette agitation, c'était de la roupie de sansonnet puisque les idées étaient déjà dans l'air et que sa maman basque avait une Simca 1000 ! (9)

Il y a une éclaircie : on dirait que les chercheurs font leur boulot et les clichés simplistes et atrabilaires à la Sarkozy semblent reculer, ouf. Reste à virer Romain Goupil des plateaux de télé et quelques intellos qui ont mal vieilli.

Bien sûr que les idées étaient dans l'air (et que la pilule date de 1967) ! mais ce mouvement bordélique et optimisme a fini par secouer gravement les neurones d'une France moisie, et catalysé des transformations culturelles ("sociétales", dit-on aujourd'hui) profondes. Ecologie, loi sur l'avortement, abaissement de l'âge de la majorité à 18 ans, fin de la censure, libération sexuelle (du temps que le féminisme était jouissif et pas punitif), loi sur le divorce par consentement mutuel, réforme de l'audiovisuel, etc. Ce qui fait de Valéry Giscard d'Estaing un peu plus tard, porté par l'air du temps, le plus progressiste de nos présidents ! Toute la période entre le milieu des années soixante et la décennie suivante a effectivement marqué une rupture avec une France vieillotte ! Il faut ajouter que l'esprit nouveau de 68, c'était certes les accords de Grenelle avec les augmentations de salaire — c'était pas rien — et la section syndicale d'entreprise — profitons-en ça ne va pas durer —, mais c'était surtout une véritable tempête dans les crânes autour de l'Egalité, la Démocratie, la Hiérarchie et l'Autogestion, et la mise en cause (Lenglet, tu m'écoutes ?) de la Consommation sacrée… La CFDT, notamment, à l'époque était de gauche et en pointe sur tous ces questionnements…
Mai 68, c'était pas que le folklore et les pavés, avec Europe "n°1" rue Gay-Lussac et les groupuscules illuminés par Radio-Pékin ou Radio-Trotsky ! C'était éminemment un orage philosophique, une interrogation (foutraque) sur le Sens de la vie et de la société !

L'invention du "jeune" dans les années soixante avait certes déjà ouvert un nouveau marché juteux renforçant la consommite déjà engagée, mais il y a un mot qu'on utilisait en ces époques et qui décrit fort bien le processus : "récupération" ! 

… et pour une fois je cite Joffrin dans un excellent article de Libé : 
"En assimilant ce besoin d’une plus grande liberté à la petite autonomie calculatrice et médiocre de l’homo economicus théorisée par les libéraux, on joue sur les mots. On confond deux individualismes. Que certains thèmes, certaines aspirations, certains penchants hédonistes aient été ensuite récupérés par le marché, c’est indiscutable. Mais l’individualisme de Mai 68 est émancipateur, autonome et, surtout, égalitaire. On se libérait des anciennes contraintes, mais on le faisait dans l’effusion collective, dans le mouvement social, au nom de valeurs de solidarité, dans l’illusion d’une unité rêvée."

Dictons, proverbes et idées toutes faites

C'est pratique, court, et ça évite de penser. Ma préférée est 
Y a que les imbéciles qui changent pas d'avis
Ah bon ? J'ose à peine le dire, mais je connais plein d'imbéciles qui changent d'avis, moi. Je me demande même s'ils ne sont pas majoritaires… (10)

La pire étant :
Il n'y a pas de fumée sans feu.
Ça permet de justifier n'importe quelle rumeur à la con, c'est chouette. Très utilisée ces temps-ci.

Mais encore :
On ne fait pas d'omelette sans casser d'œufs.
Staline l'adorait. Variante : La fin justifie les moyens. Très prisé par les idéologues de tout poil.




Petit panier de contrariétés

Higelin disparu : quelques trop vagues allusions dans les médias (sauf à France Inter, qu'il faut saluer). On voit que la gent journalistique est plus concernée par le talent (et le beuzz autour) d'un rocker exilé fiscal que par la superbe créativité et folie poétique et musicale d'un grand "Crabouif"(11)… Cela dit, son enterrement était très gai (en présence d'Izïa et d'Arthur)…

Je suis amoureux de Caroline De Haas, la fondatrice d'Osez le féminisme : quelqu'un qui a proposé d'élargir les trottoirs pour combattre le harcèlement a forcément une pensée de haute volée. Seulement je n'ose pas me déclarer, de peur qu'elle se sente chiffon et me traîne en justice.

J'aime l'idée de supprimer l'Exit Taxe après avoir supprimé l'ISF, et j'applaudis à l'abaissement de l'imposition des revenus du capital. Enfin des mesures sociales !
Ça va ruisseler sec.

Je trouve géniale l'idée de vendre les aéroports au privé, après les autoroutes, puis la gestion des contredanses pour stationnement et bientôt la gestion des radars : car les intérêts privés sont les garants d'une meilleure justice.

En même temps.
Ainsi la France, gérée comme une entreprise, verra tous ses comptes apurés. Les gens ? Quoi, les gens ?

Je vous embrasse, l'été revient !
L'ami dévot

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(1) : Allusion à une œuvre de Marcel Duchamp (artiste franco-amerlocain du XXe siècle)
(2) : Banc public, banc public… Brassens, poète français du XXe siècle
(3) : Allusion à une expression "le point de vue de Sirius" (étoile la plus brillante après le soleil) en référence à Voltaire (philosophe français du XVIIIe siècle) dans son Micromégas. Adopté plaisamment comme pseudonyme par Hubert Beuve-Méry (journaliste français du XXe siècle, fondateur du Monde (journal d'information)
(4) : TMC
(5) : Ouatt iz yor playlist ?
(6) : Je n'ai pas osé parler de "puissance" occupante, là. Ça aurait été mal interprété.
(7) : Allusion à une réplique de Sganarelle dans Le Médecin malgré lui de Molière (auteur français du XVIIe siècle)
(8) : Expression fine et légère qu'on prête à Jacques Chirac (ancien président de la République, 1995-2007)
(9) : La liberté de ma Mère, auto-édition.
(10) : Les retournements de faux culs, c'est une solution aux problèmes climatiques. Vous branchez une dynamo dessus et vous avez de quoi éclairer des pâtés de maison entiers. Ça vole au vent, c'est agréable. Frédéric Lordon
(11) : Surnom de Jacques Higelin, repris dans son premier album.



















1 commentaire:

  1. ou comment défendre son goût du langage sans pour autant virer au vieux réactionnaire ?
    tu t'en sors, Justin, tu t'en sors bien, .....cette fois encore ...bravo, c'est furieusement sérieux et sensible, et drôle ....

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