27 octobre 2007

Déçu ou en colère ?








Merci pour vos nombreux commentaires sur la dernière édition.
Enfin le débat avance !









LA SOCIÉTÉ DU RESSENTI

L'autre soir, Laurent Delahousse, excellent présentateur de rechange de l'excellent Pujadas au JT de TF2, interrogeait Henri Guaino, conseiller et plumitif du Petit Nicolas, à propos de la lettre de Guy Môquet. Vous savez, Guy Môquet, ce résistant communiste qui est mort pour défendre une société comme en rêve Sarkozy…
Certains enseignants mal lunés ayant refusé l'injonction gouvernementale, qui était de lire la lettre à leurs élèves, le journaliste avait décidé de mettre la chose en débat. Adoncques, il n'y est pas allé par quatre chemins : — Vous êtes déçu ou en colère ? demanda-t-il à Guaino. Et comme l'éminence, déjà grise, s'emberlificotait dans je ne sais quelles arguties, l'Albert Londres du XXIe siècle réitéra : — Plutôt déçu ou en colère ?
J'aime cette façon directe d'interpeller le réel. Foin des catégories rhétoriques ! Foin des analyses barbantes, qui nous ont fait tant de mal !
Plutôt déçu ou en colère ?
Je ne peux m'empêcher de penser à l'interview fameuse de Françoise Sagan par Pierre Desproges : — Ça va, la p'tite santé ?
C'est que, mes amis, vous ne l'ignorez point, nous sommes aujourd'hui dans une société du "ressenti". Vous aviez sans doute remarqué qu'on ne dit plus "J'ai un problème" mais "J'ai un souci". Au point même qu' on "résout" un souci (si si, je l'ai entendu).
Un autre exemple au hasard : les déboires sentimentaux de not' président, dont les organes de presse les plus sérieux ont fait leur une. Jean-Marcel Bouguereau*, du N'Obs, m'a répondu en arguant qu'on "ne pouvait pas faire comme si cette affaire n'avait pas de conséquences politiques". Sauf que les infos en question, c'était pas de l'analyse, c'était du scoupe. Les couv' sur Cécilia, c'était du pipeul. Bon bref : on en parle tellement dans les gazettes et les forums, de la pipeulisation de la vie politique, que vous en avez s(c)oupé, élargissons le débat.
C'est pas nouveau, et les journaux à sensations et à ragots ont probablement été inventés en même temps que la Gazette de Théophraste Renaudot (1631) !
Ce qui est nouveau, c'est qu'avant, l'élite intellectuelle en avait un peu honte et évitait de se rouler dedans. Comme il était vraiment pas chic d'aimer le football. Heureusement sont venus les temps décomplexés ! Les socialistes des années quatre-vingt ont décomplexé notre rapport à l'argent et à "l'économie de marché", les médias ont décomplexé l'intimité et jeté la pudeur aux orties, Sarko a décomplexé la gourmette et donc, les journalistes "sérieux" se sont Bataille-et-Fontainisés.
Mais il est un progrès plus grandiose encore : le retour de la flatuosité. Tiens, parlons-en :

PETS ET CONTREPETS

Vous allez probablement me trouver franchement pas tendance : les blagues de cul ne me font rire que quand elles sont drôles. Ce n'est pas une lapalissade, je te jure, quand j'entends pouffer les animateurs à la mode dès qu'un mot prononcé devant eux peut donner lieu à une quelconque vanne bien grasse, même gratuite, même sortie du contexte, je pleure. Paillardise à tous les étages ! Allusion graveleuse à la demande ! Calembour à deux balles ! Gras ricanement ! Au point que certains mots sont devenus parfaitement ambigus et qu'il n'est plus possible de bourrer sa pipe, d'astiquer sa pompe, de branler du chef, d'avoir un regard concupiscent ou d'assister tranquillement à l'érection d'une statue. Des années de combat pour libérer la sexualité du poids des hontes séculaires et voilà le résultat ! Redonne-moi des tabous, j'ai dix ans, t'ar ta gueule à la récré, j'ai besoin de pouffer… Les tabous sur le sujet, en vrai, ils ont effectivement reculé grave, alors peut-être que pour retrouver la délicieuse sensation de la transgression, ils ont besoin de retomber en enfance, peut-être ne l'ont-ils jamais vraiment quittée, mais voilà, façon Bernanos ou façon Cucul-la-Praline ?
Parce que la trangression en soi n'est pas une garantie d'humour… Et si les "explosions de foufoune" et le "pétomane" des Nuls étaient poilants, dans la tradition sale-gosse de Hara-Kiri et de Jarry et de Rabelais (n'ayons pas peur des… morts), c'est qu'il y avait le talent avec. Et souvent le second degré. Mais là, non, rien. Bigard ressort les bonnes grosses beaufferies de comptoir et remplit les stades. Je vous promets le retour des histoires de belle-mères, mais c'est peut-être déjà fait, tenez-moi informé.
Au Top 50 : le prout. Grand retour de la flatulence dans les programmes. Le pet fait rire, on n'y peut rien, et là c'est international — il n'y a qu'à voir les pubs "rigolotes" dans les compiles de la télé. On s'en était passé depuis les comiques troupiers de la première guerre mais il a fait un retour en force. Vent-en-poupe, évidemment.

SUR LE BOUT DE LA LANGUE

A mon baromètre ces temps-ci, grosse progression dans les lucarnes de l'expression MARQUER LE PAS, accompagné de TARMAC, toujours en pleine forme, de la prononciation DE TEMPS HEN TEMPS et du QUANHON, maintenant complètement adopté depuis plusieurs années. Montée en puissance des pluriels simplifiés FONDAMENTALS, GÉNIALS, TRAVAILS. Toujours une grande confusion dans les DUQUEL, LEQUEL, LAQUELLE, DESQUELS, mais là, c'est de la syntaxe, faut quand même pas déconner, Justin.

*Erratum : dans une première version, j'avais cité par erreur le nom d'un autre journaliste, qui n'a rien à voir. Pardon !


Je vous aime toujours, même sans contrepet
(Mais n'oubliez pas que le dévot console la minus et l'ascète)

5 commentaires:

  1. Très bon article, dans lequel je me retrouve complètement, Justin. Et comme tu parles de la fameuse lettre, je me permets de joindre celle qui a été réalisée collectivement par des professeurs d'un lycée de l'Essonne (PVilgénis à Massy) et que je trouve d'un grand niveau:
    "Pourquoi les professeurs de lettres du lycée Parc de Vilgénis ne liront pas la lettre de Guy Môquet.
    "L’injonction faite aux équipes éducatives de lire la lettre de Guy Môquet crée un précédent inacceptable.
    "Enseignants et éducateurs, nous n’avons pas attendu pour inscrire à nos cours, conformément à nos programmes et missions, la Résistance, dans toutes ses composantes, nationales et immigrées. Professeurs de lettres, nous étudions régulièrement la poésie engagée de cette période. C’est le sens de la semaine de la Résistance qui a eu lieu dans notre établissement en mars 2006 avec la participation de témoins et d’acteurs des événements, et l’encadrement des enseignants.
    "Nous sommes les serviteurs d’instructions officielles qui font l’objet d’élaboration et de concertation (parfois) dans le cadre d’une république démocratique. C’est aujourd’hui le fait du prince qui veut nous convier à associer dans l’esprit de nos élèves le début de son quinquennat à une lecture fondée sur l’émotion.
    "Ce dévoiement a, depuis l’annonce présidentielle, commencé ses ravages : lors d’un des matches de qualification pour l’accès aux huitièmes de finale de la coupe du monde de rugby, on a pu apprécier quel écho pouvait avoir une telle lecture faite dans un contexte injustifiable. Peut-on confondre un simple match et la résistance à l’oppression nazie ? Cette indélicatesse a donné le ridicule misérable que l’on sait.
    "Aussi émouvants que soient le martyre d’un adolescent et les mots avec lesquels lui-même l’évoque, la lecture de cette lettre au demeurant privée représente une commémoration paradoxale et ambiguë d’un fait historique qui n’est pas sans nuances et complexité, et qui réclame plutôt étude et réflexion. L’émotion et le pathos ne sont pas les meilleurs vecteurs d’intelligibilité.
    "Nous ne pouvons accepter que se prenne l’habitude de transformer les enseignants en instruments d’adhésion à quelque démarche politique ou confessionnelle que ce soit ; l’inspection générale d’histoire a épinglé les dérives qu’entraînait parfois le « zapping commémoratif ».
    "Serviteurs de l’Etat, notre mission n’est pas d’apprendre à nos élèves à embrasser des idées auxquelles ils adhèreraient, portés par un mouvement affectif ouvrant la porte à de possibles manipulations. Elle est au contraire de leur apprendre à poser des problématiques, à confronter des points de vue, à s’informer, donc à réfléchir au lieu d’adhérer, de façon à répondre personnellement aux questions qui se posent ou qu’ils se posent. Nous avons choisi d’assumer et de préserver notre rôle : transmettre une culture passée, historique et collective, dont seule une connaissance réfléchie, analysée, maîtrisant l’affectivité, peut servir la compréhension du monde actuel qui en est l’héritage."

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  2. Failisitasion pour votre dernière mie de vaux, très cher........
    Bise

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  3. A en croire l’enchaînement des têtes de chapitre de ta prose, je m’interroge sur l’état de ta santé intestinale : ressenti, pêt, et bout de la langue. Tu aurais mangé quelque chose de travers pour écrire des choses pareilles ? Evidement, tu parles de la société que tu observes et pas de ta personne. Du coup c’est un peu moins drôle et un brin navrant quant à l’état de la société, telle que tu la dépeins, régressive : intestinale, anale et orale.

    N’empêche que retomber en enfance avec Bernanos, excuses moi, mais c’est limite pervers. Faudrait que tu m’expliques.

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  4. Tu sembles manquer de commentaires; je puis donc te dire que j'admire à 100% la lettre transmise par GG
    Maurice

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  5. "Ce que le public te reproche, cultive-le, c'est toi", conseillait Cocteau.
    C'est exactement ce que fait Cauet.
    jrozen

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