25 janvier 2007

Y a-t-il un citoyen dans la salle ?











Je sens mon cerveau grignoté de l'intérieur. Ils ont gagné déjà.
Hier soir, l'œil torve et le neurone vagabond, je zappe et tombe sur la consternante émission de Stéphane Bern, "L'Arêne de France". Je sais bien que c'est du divertissement, mais comme on y aborde des sujets graves, on pourrait espérer de temps en temps un ou deux grammes d'honnêteté intellectuelle.
Donc, le sujet de mercredi, c'était : "Les riches ont-ils raison de quitter la France ?". Sujet à débat ! (et à dessication)
Eh bien figurez-vous que, outre deux invités un peu paumés (surtout le député ps Assouline, vraiment très léger), le discours dominant était :

"OUI MONSIEUR, NOUS LES RICHES, C'EST NOUS QUI FAIT LA RICHESSE ET C'EST NOUS QU'EST MALHEUREUX ! C'EST NOUS QU'ON PAYE DES 50 % ET LE POUCE* SANS PARLER DE L'ISF QUI EST UN VRAI SCANDALE ET QUI EST MÊME PAYÉ PAR TROIS PAYSANS DE L'ILE DE RÉ, CE QUI PROUVE BIEN… !!!"

Et de citer des chiffres : ça représente 1380 € d'impôt par jour pour le patron Bidule (ben dis donc : combien qu'il gagne alors lui ?), c'est pas encourageant pour les entrepreneurs ! Et Daniel Hechter, émigré en Suisse, de pleurer sur le sort de ce pauvre Johnny "qui est obligé de travailler" (sic). Le pire, c'est que le représentant du gouvernement lui-même abondait ! Il abondait ! Alors que j'attendais, moi, qu'il me rassurât, qu'il m'éclairât, et qu'enfin sur les mauvais citoyens il jetât son opprobre ! Qu'il rappelât que l'impôt est un devoir de solidarité nationale et qu'il sert à payer l'hôpital, l'école, la route et pire encore !!! (zut, je n'ai plus d'imparfaits du subjonctif)
Il est vrai que même Sarko, qui est prêt à toutes les contorsions, a déclaré qu'il "comprenait" ces fuyards…
Le public lui-même semblait acquis et applaudissait avec enthousiasme cette écœurante et poujadiste logorrhée. Mais ne l'oublions pas, mes amis : l'émission est montée, et il est très facile de lui donner la dominante qu'on veut.
D'ailleurs, au sujet de la capacité de nuisance des grands médias que nous aimons tant, vous avez peut-être vu l'excellent docu-fiction d'Arte la semaine dernière : POISON D'AVRIL, qui relate la spirale infernale des journaux télévisés sur l'INSÉCURITÉ juste avant les élections de 2002 ; c'est à frémir ! On y apprend entre autres que Chirac ne serait pas tout à fait étranger à certaines choses, prêt à tout qu'il était pour éliminer Jospin du premier tour. Quand je pense que j'ai perdu ma voix le lendemain dans les manifs. Et au second tour… dans l'urne ! J'attends avec impatience le sujet de prédilection pour cette année, celui qui fera frémir dans les chaumières (car le Canal St-Martin ou de l'Ourq, c'est mou !)

Mais revenons à nos moutons et à notre moutonnière pensée dominante. Suffit-il de déclarer, comme l'aurait fait Hollande : "Je n'aime pas les riches" ? Où est donc passée la pensée sénestre, si seule la pensée dextre s'exprime, sous couvert de réalisme économique ? Et si peu à peu s'insinue l'anglo-saxonne doxa dans tous les domaines (y compris dans mon caddie et dans l'ascenseur) ? Moi j'aime bien les riches, s'ils paient leurs impôts et m'invitent dans leur villa au bord de la mer. S'ils ne sont pas payés 1 000 fois le salaire de leur caissière et qu'en plus ils me donnent des leçons de civisme. Seront-ils moins créateurs de richesse ?
Johnny, dans sa superbe, a seul tenu le vrai discours sous-jacent : "J'en ai rien à foutre !". Et en attendant le jugement qui le fera peut-être Belge avant de devenir Monégasque (c'est le parcours recommandé nous dit-on), rien qu'avec ce qu'il a gagné cette année (8,7 millions €) il pourra s'envoyer environ 35 000 "röstis" avec deux verres de chasselas, prix suisses, en compagnie de Roger Moore et d'Ursula Andress !!

Ah vraiment, nous vivons une époque incivique, certes, mais savoureuse.


*50 % ET LE POUCE : ABUS DE LANGAGE ?
Tiens au fait, je ne suis pas matheux pour deux ronds, mais je ne vois pas comment on peut atteindre 50 %… même Johnny, jusqu'à cette année, après les abattements successifs de 10 et 20 % (traitements et salaires), et vu le système de calcul successif des tranches d'imposition. J'ai beau faire et refaire les calculs, en comptant large je n'atteins guère que plus ou moins 30 % (des revenus nets). A supposer, même, qu'aucune déduction, aucun quota familial ne s'applique, bien entendu. Et on s'en voudrait d'imaginer que les hauts revenus pensent à utiliser les niches fiscales diverses...
Mais peut-être que je ne suis pas bien informé. Ecrivez-moi.

14 janvier 2007

Le cabas du nouvel an














Bonne année à tous !
J'avais préparé une chronique très drôle et très détaillée sur mes derniers déboires automobiles à Paris, parsemée de saillies ironiques sur le PPT (Plan de Paralysie Totale) de Bertrand. Mais j'avais peur que, vu la qualité de mes fidèles abonnés, ils me soupçonnassent d'atrabilairitude anti-progrès. Je sucre donc.

A la place, j'ai décidé d'évoquer seulement quelques chroniques auxquelles vous avez échappé :

BRAVITUDE
Très typique de l'époque, les cris d'orfraie poussés par les uns et les autres à propos de la déclaration chinoise de Ségolène :
"Comme le disent les Chinois, qui n'est pas venu sur la Grande muraille n'est pas un brave. Qui va sur la Grande muraille conquiert la… bravitude". Ouin ! Alle a fait une faute de français, s'écrient les cuistres soudain réveillés en cerceau ! ("Les linguistes sont partagés" selon Le Parisien !!!) Suis-je trop laxiste ? Je n'y ai vu qu'une petite vanne un peu approximative en connivence avec des êtres normalement dotés d'un minimum de sens de l'humour. Et peut-être aussi pour faire une "petite phrase", de celles dont se délectent les journaleux. Mais n'y revenez pas : c'est bien la première et dernière fois que je défends Ségolène.

FRANCITUDE
En revanche, Galouzeau de Villepin, qui pourtant s'exprime habituellement dans un français irréprochable (et nonobstant aristocratique), s'est bien pris les pieds dans le subjonctif, l'autre dimanche sur Canal +, en déclarant : "Personne ne pensait que ce FUSSE possible". "Que ce fût" eût suffi. N'est-il pas ?

ECONOMITUDE
Aviez-vous remarqué que pour jauger un pays, les grands gentils médias et les grands gentils "experts" de tout poil n'ont plus qu'un seul critère : ses résultats économiques ? C'est un peu comme si, pour faire le bilan de votre vie ou de votre relation amoureuse, vous déclariez :
"Germaine a un PEA de 20 356 €. Avec mon PEL et mon livret A on se situe en cinquième position dans l'escalier A : avec les soldes on devrait s'en sortir, mais la galette des rois a grevé notre budget et on n'a plus de mousseux. Notre couple n'est plus viable. Je la quitte."

TURPITUDES
Enfin je sens de partout refleurir les bons principes : dans la brèche d'un salutaire assainissement généralisé de nos comportements entachés de toutes les turpitudes (alcool, tabac, crottes de chiens, sucres et graisses, 4x4, enfants qui crient, ordures non triées…) s'engouffrent les inquisiteurs congénitaux, ceux qui n'ont pas pu s'exprimer depuis 1968 ! ENFIN ! Ils sont revenus, les Jean Royer, les Maurice Druon, j'en passe et des Finkielkraut ! Vive la Nouvelle Père-Fouettardisation de notre beau pays : il était temps !

LITTÉRATUDE
Je m'étais autorisé ici même à faire une pub d'enfer à Lili-la-Tigresse, le deuxième roman de ce petit génie découvert par hasard et qui s'appelle Alona Kimhi. Je viens de terminer son premier, de roman, dont le titre est "Suzanne la Pleureuse". Pure leçon de littérature, où l'on retrouve les qualités d'humour, d'intelligence et de sensualité de l'auteuse (je me refuse à ces féminins en -re, mais chacun fait ça qu'y veut). Et qui parlera à tous ceux qui ont fréquenté de ces mères tentaculaires et manipulatrices que nous aimons tant. Je n'en connais pas personnellement, évidemment, mais j'en ai entendu parler. Voyage, donc, dans la banlieue moite de Tel-Aviv en compagnie de Suzanne Rabin, pucelle "émotionnellement instable" de 33 ans vivant encore dans les jupes de sa maman… Je n'en dis pas plus, ce serait déflorer !
Plus "réaliste" que Lili, mais aussi goûteux.
Gallimard (en poche Folio ou en normal). 428 pages. Traduction Rosie Pinhas-Delpuech.
Pub gratuite (au fait, Gallimard, si tu m'entends…)

LEROY-MERLIN-ITUDE
A la liste de mes ennemis personnels, avec les banquiers, les bétonneurs et les vendeurs de forfaits, j'ajoute aujourd'hui officiellement les vendeurs de peinture soi-disant "monocouche". Devinez pourquoi ?

INTERLUDE
On ne regarde jamais assez NORMANDIE TV. Parmi les chaînes de votre fournisseur habituel, on trouve cette petite merveille qui me rappelle les délicieux balbutiements des temps anciens, quand vous n'étiez pas nés mais moi, si. L'autre samedi, j'y ai relevé la perle suivante :
"Les températures sont unanimes"…
Rappel : des températures unanimes, ce sont des températures qui ont toutes le même avis.

RASITUDE
Le progrès décidément, s'envole sur le char léger des océans infinis de l'avenir. *
Lorsque, en 1990, Gillette a lancé le rasoir a deux lames, nous étions nombreux à piaffer d'impatience : en-core, en-core !
Je m'étais, je l'avoue, quelque peu détourné de cette problématique, mais en 2007, qu'est-ce que je découvre ? Ils en sont déjà à cinq !
Ne riez pas : on n'est jamais rasé d'assez près. On attend avec impatience la réplique de son concurrent Wilkinson. J'ose à peine l'imaginer que déjà la peau douce de mon visage s'horripile avec délice (et orgue). Rendez-vous en 2027.

* Inutile de commenter cette phrase, vous êtes gentils…

FINITUDE
La prochaine fois : une petite méditation sur les banlieues à propos d'un reportage trouvé sur le site de l'INA. Ne quittez pas l'écoute.

Et n'oubliez pas :
La fusée du futur nage dans les méandres de la modernité.

Votre dévoué
Ami Dévôt