Le temps ne fait rien à l’affaire, disait Brassens : quand on est con, on est con.
Qu’on ait vingt ans, qu’on soit grand-père…
Etc.
De mon temps, les vierges effarouchées des ligues de vertu ressemblaient plutôt à de vieilles morues rassises. Aujourd’hui, gros progrès : ce sont des jeunes filles, des jeunes gens propres sur soi et qui ont déjà tout compris de la vie.
C’est d’ailleurs ce qui caractérise la jeunesse : on est jeune, on est beau, on ne sait rien sur rien mais on veut tout changer. On est tous passés par là. Moi je voulais révolutionner l’Art, le Théâtre (sans avoir vu ni lu grand chose). D’autres s’inscrivaient chez Mao — Marx merci, je n’étais pas encore rendu à ces extrémités. Par contre, j’écoutais, plié de rire, Radio-Pékin en français sur les ondes courtes. Car à l’époque de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne (1966-76, millions de morts), ils refaisaient déjà l’Histoire, les Arts et la Musique : je me souviens que Tchaïkovsky était banni en tant que musicien bourgeois. Exactement comme Beethoven l’est aujourd’hui par deux intelligences amerlocaines (1) parce que « blanc et riche ». Les Chinois avaient de l’avance ! Heureusement, certains ne veulent pas se laisser dépasser par de si nobles causes racialisées, décoloniales, intersectionnelles et transgenrées. Les Hollandais, qui n’en ratent pas une en matière de modernité, montrent la voie : une traductrice blanche d’un roman écrit par une auteuse noire (2) s’est vue rejetée pour cause de « surplomb de la pensée blanche ». Je ne plaisante pas — on se croirait à Sciences-Po Grenoble ou à une réunion de l’UNEF !
Quant à moi, je suis heureux qu’enfin, le retard que nous prenions sur les mœurs et la Culture états-unienne soit aussi vite rattrapé grâce à nos solides élites. En très peu de temps nous avons droit au code Hays (1934-1966) sur les contenus offensants et mal polis ; au maccarthysme et à sa Chasse aux Sorcières (1950 à 1954) qui traquait les Communistes (aujourdhui mettez ce qu’il vous plaît à la place mais dénoncez, bon Dieu !) ; et enfin à la Prohibition de l’alcool (1920-1933) qui vient d’arriver en commençant par les rues de nos villes.
Il y a juste un truc qu’on a oublié et qui me turlupine depuis des lustres : ce machin avec une olive dedans qu’on voit dans tous les films amerlocains : le Dry Martini.
Ça viendra sans doute.
Pour ce qui est des Vieux, ceux qui ne périssent pas du Sars-CoV sont priés de faire profil bas. L’âge est une erreur : demandez à Comte-Sponville (3). Au mieux une pathologie, qu’il est indispensable de soigner vitement. C’est pas nouveau, mais il y eut des époques où l’on traitait les choses avec plus de philosophie. De fatalisme. D’humour ?
Marquise, si mon visage
A quelques traits un peu vieux
Souvenez-vous qu'à mon âge
Vous ne vaudrez guère mieux.
Le temps aux plus belles choses
Se plaît à faire un affront,
Et saura faner vos roses
Comme il a ridé mon front.
Le même cours des planètes
Régit nos jours et nos nuits
On m'a vu ce que vous êtes ;
Vous serez ce que je suis.
(Pierre Corneille, 1658)
Mais Tristan Bernard, goguenard, ajoutait
(repris par Brassens dans sa chanson de 1962) :
Peut-être que je serai vieille
Répond Marquise, cependant
J'ai vingt-six ans, mon vieux Corneille
Et je t'emmerde en attendant.
Si tu t'imagines
Avez-vous déjà vraiment écouté les paroles de Si tu t’imagines, chanté par Juliette Gréco ?
Si tu t'imagines, si tu t'imagines
Fillette fillette, si tu t'imagines
Qu'ça va qu'ça va qu'ça va durer toujours
La saison des za, la saison des za
Saison des amours, ce que tu te goures
Fillette fillette, ce que tu te goures
Les beaux jours s'en vont
Les beaux jours de fête
Soleils et planètes
Tournent tous en rond
Mais toi ma petite, tu marches tout droit
Vers c'que tu vois pas
Très sournois s'approchent
La ride véloce, la pesante graisse
Le menton triple et le muscle avachi
(Raymond Queneau, 1948)
Et un plagieur, moins habile (assez lourdingue en vérité !) avait repris l'idée pour en faire une version masculine (chantée par Michèle Arnaud) :
Ne crois pas, ne crois pas
Que tu seras toujours beau gosse
Ne crois pas, ne crois pas
Que ta jeunesse durera
Tu seras comme tout le monde
Avec le teint décati
Le bidon en mappemonde
Et toutes les dents desserties
Quand t'auras le crâne bien lisse,
Le geste mal assuré
Et le regard en coulisse
T'iras te faire réparer
Ne crois pas, ne crois pas
Que tu seras toujours beau gosse
Ne crois pas, ne crois pas
Que ta jeunesse durera
(Christian Guitreau, 1956)
Puisque nous sommes dans la chansonnette, parlons de séparatisme. Renaud l’avait poétiquement évoqué —vous en souvient-il ?— dans sa chanson « Marche à l’Ombre » :
Arrach’toi d’là t’es pas d’ma bande,
Cass’toi tu pues
Et marche à l’ombre
Mais imaginons que Brassens (encore lui : tranquillisez-vous, je suis pas idolâtre comme mec) ressorte sa fameuse Mauvaise Réputation . J’imagine d’ici l’Association des Muets, la Ligue des Manchots, l’Amicale des Culs-de-jatte et la Ronde des Mal-voyants-offusqués :
Au village, sans prétention, J'ai mauvaise réputation. (…) Tout le monde médit de moi, Sauf les muets, ça va de soi. (…) Tout le monde me montre du doigt Sauf les manchots, ça va de soi. (…) Tout le monde se rue sur moi, Sauf les culs-de-jatte, ça va de soi. (…) Tout le monde viendra me voir pendu, Sauf les aveugles, bien entendu ! |
Il n’y a vraiment que l’Armée des Cons qui fasse profil bas. Peut-être se sent-elle déjà représentée ?
Portez-vous bien (et vaccinez-vous !)
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Notes :
1. https://www.diapasonmag.fr/a-la-une/aux-etats-unis-beethoven-victime-de-la-cancel-culture-31216
3. http://www.agisme.fr/spip.php?article108