Merci pour vos nombreux commentaires sur la dernière édition.
Enfin le débat avance !
LA SOCIÉTÉ DU RESSENTI
L'autre soir, Laurent Delahousse, excellent présentateur de rechange de l'excellent Pujadas au JT de TF2, interrogeait Henri Guaino, conseiller et plumitif du Petit Nicolas, à propos de la lettre de Guy Môquet. Vous savez, Guy Môquet, ce résistant communiste qui est mort pour défendre une société comme en rêve Sarkozy…
Certains enseignants mal lunés ayant refusé l'injonction gouvernementale, qui était de lire la lettre à leurs élèves, le journaliste avait décidé de mettre la chose en débat. Adoncques, il n'y est pas allé par quatre chemins : — Vous êtes déçu ou en colère ? demanda-t-il à Guaino. Et comme l'éminence, déjà grise, s'emberlificotait dans je ne sais quelles arguties, l'Albert Londres du XXIe siècle réitéra : — Plutôt déçu ou en colère ?
J'aime cette façon directe d'interpeller le réel. Foin des catégories rhétoriques ! Foin des analyses barbantes, qui nous ont fait tant de mal !
Plutôt déçu ou en colère ?
Je ne peux m'empêcher de penser à l'interview fameuse de Françoise Sagan par Pierre Desproges : — Ça va, la p'tite santé ?
C'est que, mes amis, vous ne l'ignorez point, nous sommes aujourd'hui dans une société du "ressenti". Vous aviez sans doute remarqué qu'on ne dit plus "J'ai un problème" mais "J'ai un souci". Au point même qu' on "résout" un souci (si si, je l'ai entendu).
Un autre exemple au hasard : les déboires sentimentaux de not' président, dont les organes de presse les plus sérieux ont fait leur une. Jean-Marcel Bouguereau*, du N'Obs, m'a répondu en arguant qu'on "ne pouvait pas faire comme si cette affaire n'avait pas de conséquences politiques". Sauf que les infos en question, c'était pas de l'analyse, c'était du scoupe. Les couv' sur Cécilia, c'était du pipeul. Bon bref : on en parle tellement dans les gazettes et les forums, de la pipeulisation de la vie politique, que vous en avez s(c)oupé, élargissons le débat.
C'est pas nouveau, et les journaux à sensations et à ragots ont probablement été inventés en même temps que la Gazette de Théophraste Renaudot (1631) !
Ce qui est nouveau, c'est qu'avant, l'élite intellectuelle en avait un peu honte et évitait de se rouler dedans. Comme il était vraiment pas chic d'aimer le football. Heureusement sont venus les temps décomplexés ! Les socialistes des années quatre-vingt ont décomplexé notre rapport à l'argent et à "l'économie de marché", les médias ont décomplexé l'intimité et jeté la pudeur aux orties, Sarko a décomplexé la gourmette et donc, les journalistes "sérieux" se sont Bataille-et-Fontainisés.
Mais il est un progrès plus grandiose encore : le retour de la flatuosité. Tiens, parlons-en :
PETS ET CONTREPETS
Vous allez probablement me trouver franchement pas tendance : les blagues de cul ne me font rire que quand elles sont drôles. Ce n'est pas une lapalissade, je te jure, quand j'entends pouffer les animateurs à la mode dès qu'un mot prononcé devant eux peut donner lieu à une quelconque vanne bien grasse, même gratuite, même sortie du contexte, je pleure. Paillardise à tous les étages ! Allusion graveleuse à la demande ! Calembour à deux balles ! Gras ricanement ! Au point que certains mots sont devenus parfaitement ambigus et qu'il n'est plus possible de bourrer sa pipe, d'astiquer sa pompe, de branler du chef, d'avoir un regard concupiscent ou d'assister tranquillement à l'érection d'une statue. Des années de combat pour libérer la sexualité du poids des hontes séculaires et voilà le résultat ! Redonne-moi des tabous, j'ai dix ans, t'ar ta gueule à la récré, j'ai besoin de pouffer… Les tabous sur le sujet, en vrai, ils ont effectivement reculé grave, alors peut-être que pour retrouver la délicieuse sensation de la transgression, ils ont besoin de retomber en enfance, peut-être ne l'ont-ils jamais vraiment quittée, mais voilà, façon Bernanos ou façon Cucul-la-Praline ?
Parce que la trangression en soi n'est pas une garantie d'humour… Et si les "explosions de foufoune" et le "pétomane" des Nuls étaient poilants, dans la tradition sale-gosse de Hara-Kiri et de Jarry et de Rabelais (n'ayons pas peur des… morts), c'est qu'il y avait le talent avec. Et souvent le second degré. Mais là, non, rien. Bigard ressort les bonnes grosses beaufferies de comptoir et remplit les stades. Je vous promets le retour des histoires de belle-mères, mais c'est peut-être déjà fait, tenez-moi informé.
Au Top 50 : le prout. Grand retour de la flatulence dans les programmes. Le pet fait rire, on n'y peut rien, et là c'est international — il n'y a qu'à voir les pubs "rigolotes" dans les compiles de la télé. On s'en était passé depuis les comiques troupiers de la première guerre mais il a fait un retour en force. Vent-en-poupe, évidemment.
SUR LE BOUT DE LA LANGUE
A mon baromètre ces temps-ci, grosse progression dans les lucarnes de l'expression MARQUER LE PAS, accompagné de TARMAC, toujours en pleine forme, de la prononciation DE TEMPS HEN TEMPS et du QUANHON, maintenant complètement adopté depuis plusieurs années. Montée en puissance des pluriels simplifiés FONDAMENTALS, GÉNIALS, TRAVAILS. Toujours une grande confusion dans les DUQUEL, LEQUEL, LAQUELLE, DESQUELS, mais là, c'est de la syntaxe, faut quand même pas déconner, Justin.
*Erratum : dans une première version, j'avais cité par erreur le nom d'un autre journaliste, qui n'a rien à voir. Pardon !
Je vous aime toujours, même sans contrepet
(Mais n'oubliez pas que le dévot console la minus et l'ascète)