11 juillet 2025

Ce que parler veut dire, donc

 



Chers faux lovers, revenons aux fondamentaux : la Vie des Mots. 

Vu le contexte et la confusion actuelle, peut-être faudrait-il plutôt titrer La mort des mots, d’ailleurs. Mais ça ferait de moins brillantes contrepêteries : 

 

Mollo, mes dards ? La mer d’homos ? Oh modère l’âme ?


Ah, j’en tiens une :

Oh merde à l’homme !



Avertissement : 


L’attention portée à la langue française est aujourd’hui suspecte. Politiquement suspecte. D’ailleurs, le plaisant Méluche considère dans une déclaration récente que la langue française n’existe pas ou à peu près. Sauf à être d’extrême-droite, bien sûr. 

Et sans doute islamophobe, pendant qu'on y est ?

Quant aux lingouistes atterrés (atterrants ?) ils s'en foutent, car ils sont modernes, jeunes et ouverts. Que puis-je faire avec mes chroniques amusées ?

Si tu t’en bats les moustaches, ami, de la langue, ne te compromets point inutilement, passe ton chemin, tu vas t’ennuyer ; retourne à tes écrans préférés. 

Je te laisse quand même, au cas où, quelques-uns de mes croquis de femmes à poil (avant que ce soit interdit)… 😂






1. Pan sur le museau :


Je peste depuis des lustres contre les dictionnaires qui enregistrent avec empressement les moindres soubresauts de la langue française, acceptant parfois les nouveautés médiatiques ou suburbaines les plus improbables sans aucune vergogne. 

Eh bien je me gourre depuis des lustres !


Car voilà que sur son site, le Robert avoue tout : 


Nos dictionnaires ne se prononcent pas sur ce que certains appellent le "bon usage". Ainsi, les termes familiers, argotiques, mais aussi les mots vulgaires ou injurieux ne sont pas passés sous silence, à partir du moment ils sont suffisamment implantés dans la langue. Au sein des articles concernés, des indications de registre ou d'usage informent l'utilisateur qui reste toujours libre de choisir son vocabulaire, en toute connaissance de cause.


Autrement dit, le Robert se contente de pratiquer le ramassage indifférencié de tout ce qui traîne depuis la semaine dernière. "L'utilisateur reste toujours libre […] en toute connaissance de cause." Y compris, donc, les effets de mode, les néologismes tendance et incertains, les anglicismes inutiles. Voilà. Il suffisait de le savoir ; Errare humanum est, comme on pouvait le lire dans les pages roses, naguère.






2. Tendances :


Le temps presse, ma bonne dame, on n'a plus le temps de rien. La tendance (amusante) est au raccourcissement des mots en mode verbal. Même s'ils ne comportent que trois syll' !


Puisé dans ma dab radio ou mon écran plat :


— C'est vraiment une strat' qui va bien 

— Vous avez une troisième ordo…

— J’ai fait un peu de figu’

— T’as la réf’ ?

— Pris un congé mat’

— L’idole de la gén’ Z…

— Il est pris dans les embout’…

— T’as fait ta décla’ ?








3. Les mots qui ont changé de sens (mais-tout-évolue-n'est-ce-pas) :


La pratique assidue du scrolling et la fréquentation des influenceurs(-euses) met de nouvelles épices dans la langue française. Après la world food, voici la world langue. Faut suivre :


Routine

a perdu sa nuance péjorative de train-train mécanique pour épouser un des sens angliches courants d'habitude, et surtout de programme perso. Des sites proposent donc tout naturellement de "te créer des routines" (sport, beauté, etc.)


Choqué (T'as tellement peur, c'est choquant !)

est maintenant couramment employé par les jeunes simplement dans le sens de "touché" (en bien comme en mal).


Cela viendrait d'un mésusage du terme shook en anglais oral, à la place de shaked (secoué). Je cite :

If you want to speak standard English then "I'm shook" is wrong - it should be "I'm shaken". "Shook" is the past tense, so "you shook me" is correct. "Shocked is the past tense and past participle of "shock", and it is not related to "shake".

Been shaken in the sense you mean (emotionally stirred) can be result of a shock (mental or physical), but also the result of other things.

(site Stack Exchange.com)


Masculiniste

Attention : féministe c'est bien, mais masculiniste, c'est diantrement réac'. Pour ne pas dire macho, pour ne pas dire phallocrate. Car comme disait Aragon : La femme est l'avenir de l'homme.


Durable (rappel)

Est "durable" ce qui permet à la planète de durer, en fait. Pas le kebab lui-même, pas le cure-dent — la planète, tu vois ?


Burlesque

a endossé comme il se doit le sens supplémentaire de "spectacle américain grossier mêlé d'érotisme" (Larousse)


Qualitatif (autrefois "relatif à la qualité")

remplace maintenant "bon" ou "bien" :

Ex. : "Si on prend un produit plus qualitatif…"

Ça vous a quand même une autre gueule, non ? C'est chic, ça fait scientifique, c'est frais, c'est jeune, c'est parisien !








4. Les tics de langage en vogue


Mon papa, ma maman

On croyait ces gentils substantifs réservés aux enfants. En vérité, ce langage bébé est redevenu grave investi de nos jours par de grands dadais (et de grandes dadaisses). Déjà, au XXe siècle, Luis Mariano bramait que sa maman était la plus belle du monde ; plus étonnamment, Brassens larmoyait aussi dans sa chanson Maman, Papa. Même le rappeur Jul s'y est mis, lis-je… Pour l'ineffable Souchon, Allô maman bobo présentait au moins l'avantage du clin d'œil…

Or, l'époque étant au sentimentalisme baveux (attention aux débordements glycémiques), j'entends de plus en plus de petits vieux "pleurer leur maman" dans le poste comme un vulgaire Albert Cohen (Le livre de ma mère) : acteurs, chanteuses, peoples divers sur les genoux des journalistes !

C'est ce que j'appelle le syndrome de l'oie ou du canard sauvage, mis en lumière par Konrad Lorenz dans les années 1930, qui fait le bébé de l'oie ou du canard suivre (aimer ?) le premier être aperçu au sortir de l'œuf ! Il est donc logique d'aimer sa mère, pas de quoi en faire un plat. Sauf si elle vous bat. Pas de quoi non plus rester au stade des couches ou du biberon à 77 ans. La mère chatte envoie ses rejetons valdinguer dès qu'ils grandissent, afin qu'ils puissent vivre leur vie d'adultes sans filet ! 

Conclusion : nous sommes des volatiles et non des félins. Faut-il s'en vanter ?


Mobilités (au pluriel)

A définitivement remplacé transports ou déplacements, comme

Old school a remplacé Vieille école


L'effet Wouaouh, pour époustouflant, éblouissant. C'est un tantinet familier mais on gagne du temps.


Le mug a pris la place du bol ou du mazagran ; c'est pas seulement le mot, là, c'est la chose, car c'est ainsi que les Etazuniens boivent leur café (enfin ce qu'ils appellent café…)


La (ou le) date (prononcé à l'anglaise) remplace rendez-vous (plutôt dans un sens romantique)…


Quant aux Affaires non résolues, elles sont devenues des cold cases, et pas seulement dans les séries télé mais aussi dans les instances officielles, comme au tribunal judiciaire de Nanterre. Car ça sonne plus grove.


La charge mentale concerne surtout les femmes . Car les hommes n'ont qu'une envie, c'est boire de la bière en regardant le foot.


Immersif. Une expo d'aujourd'hui est immersive ou n'est pas. Si t'es pas immersif à cinquante ans, t'as raté ta vie !


Déconstruction

Ce subtil concept inventé par Derrida dans les années septante, désigne aujourd'hui l'autocritique façon stalinienne ou maoïste du wokisme triomphant. Dans le même temps, on prendra soin de se débarrasser des stéréotypes tradis pour les remplacer par les stéréotypes tendance autorisés.


J'en ai déjà moult causé : divulgâcher, dont se gargarisent les animateurs up-to-date pour remplacer spoiler. Mais pourquoi tout soudain stigmatiser ce seul vocable angliche, alors qu'on continue à checker pour être au level dans sa life devant les time laps, si tu target le bon goal (sans shifter) ? Trop simple sans doute d'utiliser au choix dévoiler, révéler, déflorer, divulguer, qui selon le contexte peuvent tout aussi bien exprimer le gâchis ou la compromission. 

On s'poile, n'est-il ?


Ah, mon préféré : malaisant, issu du langage adolescent et des jeux vidéos. Un participe présent sans le verbe qui va avec, une bizarrerie vite adoptée par les dicos ramasse-miettes. Gênant, dérangeant, troublant, embarrassant, non ? Et ne me dites pas que ce mot provient d'un français révolu : géline et rastaquouère aussi.


Finissons avec une expression fort poétique et fraîche, de plus en plus usitée dans le cadre d'échanges intellectuels soutenus :

Tu dis de la merde.

Essayons de nous retenir, mes amis.








5. Les entorses


Tous les exemples cités ici ont été réellement souventes fois entendus  :

"Ça date depuis…"

"Chui late, aux embouteillages"


Car, employé de plus en plus (par inattention sans doute) (ou par ignorance) en réponse à pourquoi, et à la place de parce que :


— Pourquoi tu picoles ?

Car je veux oublier que ma femme me trompe

— Et pourquoi elle te trompe ?

Car je bois.


Les expressions répétées inutilement (rappel) :

C'est à la fois dur et à la fois souple

Ça se trouve entre le nombril et entre le sol (j'te jure, y en a qui causent comme ça)


Quant à la redondance, elle se se porte fort bien. Pour illustrer son propos, il est devenu courant de pléonasmer à donf ! D'ailleurs, qui n'emploie pas l'expression "retour en arrière" ?


Et toujours à l'oral les réjouissantes liaisons placées mal-t-à-propos (documentaires, reportages, commentaires journalistiques… pas des propos de quidams !) :


Il pensait avoir t'affaire à un policier (FR2)

[…] ont été t'effectuées… (un juge d'instruction dans le poste)

Les familles des accusés ont été t'exclues (LCP)

Les cercles communistes qui ont été t'en contact (id)

[…] qu'Evelyn ait eu t'un accident (Faites entrer l'Accusé)

Nous ne pouvons pas savoir ce que sont les choses t'en elles-mêmes (un site de philo)


En forte progression et en passe de devenir la norme (nouveau rappel), l'accord intempestif d'un semi-auxiliaire dans une expression au féminin ou au pluriel ou aux deux :

Lionel Verones l'aurait faite chanter (Enquêtes criminelles)

Comme je vous en ai déjà causé, reportez-vous à votre documentation habituelle : Y a pas marqué Bescherelle ici.


L'interrogation indirecte, qui déstabilise le vulgum pecus :

On se demande comment ont-ils pu… (Le Masque et la Plume)


Un mot pour un autre :

Il m'a insulté de tous les noms (fréquent dans les "quartiers")


Nouveau et intéressant : la tévé invente des verbes et on en a toujours pour son argent. Ici on a même une conjugaison du… 4e groupe :

Détox ta maison (TFX et TF1)


On s'en fout on est jeunes.








6. Les clichés faciles


(Elle est) solaire

péter un câble, un plomb, une durite

Anatomie

… de tout et son contraire :

d'une chute (le film connu)

d'un régime en crise…

d'une démocratie…

d'un conflit (titres de bouquins récents)

Dystopie bat un peu de l'aile

Sidération tient le coup, ainsi que nauséabond et disruptif

Silence assourdissant reste dans la course

Petite remontée de l'expression Ça dit quoi de… ?

dans les débats de FR5 et France Cul.







7. Nouvelles prononciations


A y est c'est officialisé !

Jean-Luc Reichmann, animateur enjoué par contrat à l'année le midi sur TF1, l'a prononcé à haute et intelligible voix (comme disait le surgé du lycée Arago quand j'étais en sixième), confirmant ainsi l'abandon ferme et définitif de la pesante et prétentieuse et caduque liaison traditionnelle !

Il a dit "De temps en temps" mais en prononçant "De tan hen tan". 

Je le mets dans mon fichier de mises à jour (avec les "Quand on" prononcés kan hon, les ajanda, les référandum et la moêlle de beu)


Chui pas arrivé au bout de ma tache :

dépit de travailleur ou réflexion de teinturier ?


Male blanc : occidental dominant ou panari ?


Qu'en pense Guilleume au moment de sa peuse café ?








8. Les inventions rigolotes


Heureusement, parmi les maladresses et agaçants effets de mode, on trouve une inventivité parfois réjouissante et poétique. 


J'ai déjà cité Chui au bout de ma vie pour "débordé, fatigué" (déjà un peu dépassé)

Satisfaisant : un euphémisme plaisant chez les jeunes pour chouette ou super (je viens de voir un short de Youtube avec le mot satisfying utilisé dans cette acception c'est un indice !)

Et je découvre tard l'époque pour dire Il y a longtemps chez certains ados (encore assez confidentiel)








Mais au fond quelle importance que tout cela et pourquoi ces cheveux coupés en douze ?

La langue restera correctement utilisée par les intelligences artificielles…

Pour le reste, le langage évoluera vers un grand puzzle bigarré et approximatif de mots et d'évocations sans syntaxe, ni foi, ni loi, pour quoi faire ? On grognera nos états d'âme, on s'exprimera comme Trump qui semble toujours s'adresser à des enfants de huit ans… Notre pensée sera simple, élémentaire, rafraîchissante, elle ne servira plus à grand chose, tout sera prémâché, dans un monde où l'on nous dit que quand il fait chaud, par exemple, eh bien il faut se rafraîchir. Ou que quand on voit un ouvrier sur l'autoroute, il ne faut pas tellement l'écraser.


Excellent été mes amis !





P.S. : Je me relis avec effroi : pourquoi tant de pessimisme 

(alors qu'il y a du soleil et des glaces à la mangue) ? 

Beaucoup de petites chaînes internet de jeunes "créateurs de contenu" (ouaf ouaf !) proposent de réels… contenus tenus (pas ténus), intelligents et dans une langue maîtrisée. 

Allez Justin, calme-toi, c'est l'heure du spritz. 


Bisous.